Interview avec Sandra Dodd

Interview parue dans Les Plumes de LAIA n°15, mai 2010

Sandra Dodd est une porte-parole du unschooling. Elle s’est intéressée très jeune à l’enseignement et aux diverses façons d’apprendre, et notamment aux classes ouvertes, aux écoles libres et aux écrits de John Holt. Diplômée en anglais et psychologie, elle a enseigné l’anglais quelques années. Devenue mère, elle a opté pour l’instruction hors école, et plus particulièrement le unschooling radical. Depuis une quinzaine d’années, elle partage avec enthousiasme son expérience avec d’autres familles et elle est devenue très active pour le unschooling : articles, site Internet, conférences, interviews, livres. Un certain nombre de ses écrits ont été publiés dans plusieurs langues, dont le français.

 

Comment êtes-vous venue au unschooling ?
Sandra Dodd : […] Nous n’avions pas l’intention d’instruire nos enfants à domicile, mais lorsque notre aîné a eu 4 ans et que j’étais enceinte de notre troisième enfant, nous avons senti qu’il n’était pas prêt pour aller à l’école à 5 ans, alors nous l’avons gardé à la maison une année de plus en sachant que nous pourrions le scolariser à 6 ans. Cette année-là a été si riche et agréable que nous lui avons donné la possibilité de choisir de rester à la maison une année de plus, et c’est ce qu’il a souhaité faire. Nous n’avons jamais envisagé d’utiliser un programme, parce que les deux familles que nous connaissions qui avaient fait ce choix n’étaient pas gentils avec leurs enfants et les enfants étaient tristes et cachottiers. Les deux familles unschoolers étaient chaleureuses et aimantes. Nous avons suivi leurs exemples. Nous pensions encore que nos deux autres enfants pourraient préférer l’école et, quand ils étaient petits, nous leur demandions chaque année s’ils voulaient y aller et chaque année ils choisissaient de rester à la maison. Ces trois bébés sont maintenant Kirby, âgé de 23 ans, Martin, âgé de 21 ans, et Holly, âgée de 18 ans.

Pouvez-vous nous dire ce qu’est le unschooling et ce que ça n’est pas ?
S. D. : Le unschooling, c’est créer et entretenir un environnement au sein duquel les apprentissages naturels s’épanouissent. Ce n’est pas de la négligence, de la paresse ni de la passivité. C’est un parentage actif, attentif qui crée un lien et un partenariat entre les parents et l’enfant.

Que sont les apprentissages naturels ? Pouvez-vous donner des exemples?
S. D. : Nous apprenons avec tous nos sens, et nous ne pouvons apprendre que lorsque nous nous interrogeons ou sommes curieux, ou lorsque quelque chose a suscité notre intérêt.
Regarder des dessins d’arbres dans les livres peut être amusant, mais si on s’attend à ce que cela remplace la connaissance des arbres vivants par l’expérience, tellement plus formidable que n’importe quel livre, avec la texture et l’odeur, peut-être aussi avec des fruits ou des noix que l’on peut ramasser, examiner et goûter, c’est à l’opposé des apprentissages naturels.
Si quelqu’un essaie d’ « apprendre les sciences physiques » sur papier, avec des nombres, des angles et la terminologie, cela revient juste à mémoriser des faits bien mystérieux. Mais si cette personne a joué avec une petite voiture, sauté, en vélo, de petits tremplins faits maison, et fait rebondir toutes sortes de balles contre différents murs, alors ces nombres et ces angles vont commencer à représenter quelque chose.
L’école prépare les gens aux examens, et à toujours plus d’école. Vivre des apprentissages naturels riches prépare les gens à vivre.

Diriez-vous que le unschooling peut convenir à tout enfant ? A tout parent?
S. D. : Tout enfant peut s’épanouir dans un environnement unschooling, mais tous les parents ne peuvent pas créer cet environnement-là. Certaines personnes pensent que leur enfant est trop « doué » pour tirer profit du unschooling, ou bien qu’il n’a pas l’esprit assez vif, mais cela n’a pas de sens. Puisque le unschooling permet à un enfant d’apprendre à sa façon et à son rythme, cela fonctionne de la même façon pour tout enfant dont les parents peuvent être suffisamment présents et attentifs.
Pour pouvoir unschooler, les parents doivent devenir des parents unschoolers. Cela implique qu’ils doivent se remettre d’avoir été des enfants scolarisés ou des parents d’enfants scolarisés, voire les deux. Quelqu’un qui ne peut pas changer ne peut pas unschooler.
Le unschooling demande des parents : disponibles, curieux, joueurs, attentionnés, attentifs, ingénieux, désireux de faire de la vie de leurs enfants une vie joyeuse, enthousiastes et empathiques, généreux, calmes (parfois, mais pas tout le temps), pleins de vie (même les gens calmes peuvent être pleins de vie), positifs, gentils, aimables.
[…]

Comment un enfant peut-il apprendre ce qu’il a à apprendre (au regard de la loi, des examens et des requis professionnels) si on ne structure pas son enseignement ?
S. D. : L’école, c’est surtout beaucoup de répétition et de préparation pour des emplois qui sont déjà obsolètes. A l’école, on apprend à faire le strict minimum pour passer dans la classe supérieure, et pas plus. Les gens y apprennent à se préoccuper plus des notes que du savoir.
Si un examen est nécessaire et qu’il n’est pas accordé d’importance à la note obtenue, ce peut être une situation exempte de stress. Quand ils seront plus âgés et auront besoin de passer un examen, pour entrer à l’université ou pour débuter une carrière, ils auront une raison de se préparer pour cet examen, et ils pourront le faire à leur façon. Rien de tout cela ne prend 12 années de préparation.
Mes trois enfants ont chacun occupé plusieurs emplois et l’ont très bien fait. L’aîné travaille pour Blizzard Entertainment et a été promu au sein de son entreprise.
[…] Apprendre devient comme l’air : dans et autour de chaque chose.

Le site Internet de Sandra Dodd : https://www.sandradodd.com

Bibliographie
Moving a Puddle and other essays, de Sandra Dodd, 2006, ISBN 978-1411648685
Sandra Dodd’s Big Book of Unschooling, de Sandra Dodd, 2009, ISBN 978-055718155-1