La mind map : entretien avec Kristin Leroy

Interview parue dans Les Plumes n° 35, décembre 2016

Également appelée carte mentale ou carte heuristique, la mind map a le vent en poupe. Mode éducative ou véritable outil ? Nous avons rencontré Kristin Leroy, animatrice d’ateliers de mind map, afin de mieux comprendre l’engouement pour cette pratique.

Vous définissez le mind mapping comme « un outil super puissant que le cerveau adore ». Pouvez-vous nous en dire plus ?
Le mind mapping, selon le nom donné par Tony Buzan¹, est un outil graphique qui permet de se remémorer des souvenirs précis, trouver de nouvelles idées ou les organiser. Cet outil est particulièrement adapté au fonctionnement du cerveau car il s’adresse à celui-ci à l’aide de couleurs, mots, pictogrammes et avec une spatialisation particulière. Le travail avec la carte mentale stimule de nombreuses et diverses compétences cérébrales, notamment celles que l’on a coutume d’appeler les compétences du mode cerveau droit et qui sont l’intuition, la globalité, la simultanéité des idées, le rythme, la couleur. Le travail linéaire n’offre pas autant de possibilités, mais notre société continue de valoriser les activités correspondant au mode cerveau gauche (logique, code, linéarité, planification) oubliant tout un pan de compétences bien utiles. Cette réflexion analytique et linéaire, favorisée, voire exigée, dans l’Éducation nationale, ne correspond pas au fonctionnement cérébral. Le cerveau fonctionne par associations de mots, d’idées, d’images, de perceptions. L’intuition et la pensée visuelle globale jouent un rôle important dans notre système de réflexion. Si l’on revient aux apprentissages, la mémorisation réclame, pour bien fonctionner, l’appui de la couleur, la gestion de l’espace, les associations d’idées, l’humour. La créativité, quant à elle, n’est pas non plus un processus analytique logique et requiert une vision globale du sujet. La mind map est un véritable couteau suisse qui favorise ces diverses actions cognitives parce qu’elle permet la vision globale du sujet, l’accès immédiat aux détails, l’occupation de tout l’espace de la feuille, la présence de couleurs, de dessins ou pictogrammes, l’association de mots et d’idées, la liberté cognitive (je construis moi-même ma carte avec ce dont j’ai besoin). C’est tout cela qui va permettre, lorsque l’on fait une carte mentale, de voir sa pensée se poser sur le papier, et favoriser compréhension, réflexion, mémorisation et création.

Le mind mapping est-il adapté aux enfants ayant des troubles de l’apprentissage ou des difficultés avec le geste d’écriture ?

Oui, et c’est même un excellent outil pour presque tous les troubles de type « dys », excepté peut-être dans le cas de la dyspraxie occulo-spatiale. La mind map demande moins d’effort d’écriture dans sa mise en œuvre, ne requiert pas d’écrire entre deux lignes, donne l’accès à toute la page. Elle permet d’alléger la charge mnésique et d’organiser les informations entre elles de façon visuelle. Sa réalisation est ludique et moins laborieuse qu’un texte à écrire. L’utilisation des couleurs facilite la mise en relation des divers éléments de la carte et permet aux enfants, malgré leurs difficultés, d’organiser visuellement leurs idées. Le dessin soulage l’enfant non lecteur, lui donne accès au sens, et décuple ses possibilités, qui ne sont plus liées à l’écriture. On peut s’en servir pour comprendre ou apprendre, synthétiser une ou des notions, réaliser une fiche en cours de lecture, pour préparer un résumé de livre, organiser des tâches à réaliser, prendre des notes… Par son faible recours à l’écriture, la mind map sera bénéfique aux enfants présentant des difficultés avec le geste graphique ou l’orthographe et leur permettra de réaliser certaines tâches libérés des contraintes liées à l’écriture. On évite ainsi la mise en double tâche de l’enfant, par exemple devoir être en recherche d’idées et, en même temps, attentif à son écriture. La créativité n’est plus bloquée par la peur de mal faire et l’attention n’est pas occupée à une autre tâche que celle demandée. On peut réaliser des mind maps avec des enfants très jeunes qui ne sont pas encore entrés dans l’écriture, en utilisant uniquement des dessins, pour retranscrire une recette par exemple ou organiser une fête. On peut aussi juste coller des images sur les branches et alléger encore ainsi le recours au graphisme. Une mind map est toujours plus efficace lorsqu’elle est faite par l’enfant lui-même, mais avec les enfants présentant des troubles d’apprentissage, il faut se permettre de jouer les secrétaires dès que la charge graphique se fait trop invalidante, et avant que la souffrance ne s’installe et n’entame la motivation. C’est aussi une des raisons de faire quelques cartes sur ordinateur. Avec les enfants jeunes ou souffrant de difficultés graphiques, il est important d’être extrêmement souple sur la forme de la mind map, l’organisation des branches, les dessins et les mots. Il faut permettre que cela ne ressemble plus à une mind map.

Vous proposez des ateliers mind mapping et des ateliers mandalas. Comment ces deux pratiques sont-elles liées ?
Mandala et mind map sont tous les deux des schémas centrés, c’est-à-dire organisés autour d’un centre et contenus dans un cercle (virtuel pour la carte mentale). Ils vont avoir pour effet de calmer, recentrer, concentrer la personne qui les réalise, ceci en proposant l’apaisement aux systèmes cérébraux reptilien (responsable de la survie) et limbique (responsable des émotions). Le sujet aura alors pleinement accès aux compétences de son néocortex qui gère la cognition. En réalisant une carte mentale ou un mandala, on se sent individuellement impliqué, on accède ainsi à sa motivation interne. La réalisation d’une carte mentale ou d’un mandala révèle la personnalité de chacun et l’on peut sentir un profond accomplissement à leur réalisation et à leur contemplation. Ce sont de puissants outils de valorisation de l’estime de soi, et l’on sait désormais qu’une bonne estime de soi, stable, est facteur de facilités d’apprentissage. Pour prendre le risque des apprentissages, il faut s’en sentir capable et s’accorder de la valeur. Bien que je ne les propose pas ainsi dans mes ateliers, on peut aussi réaliser des mandalas d’apprentissage². D’ailleurs certains mandalas réalisés en Inde, dans la tradition bouddhique, sont des mandalas de transmission, d’enseignement.

Au-delà d’un outil d’apprentissage, le mind mapping peut s’avérer utile pour définir un projet d’études, un projet professionnel ou un projet de vie. De quelle manière ?

Parce que la mind map va permettre d’apporter une vision globale du projet ou de la problématique, elle permet de poser le sujet, tous les tenants et les aboutissants, de faire des liens entre les items, de voir les différences, les similitudes, les principaux thèmes qui se dégagent. En centrant la personne sur son sujet, en offrant une grande liberté d’expression de la pensée, en permettant la rapidité de prise de notes au fur et à mesure de la survenue des idées, la carte mentale permet de poser sur papier tout le cheminement intellectuel nécessaire à la réalisation d’un projet quel qu’il soit. Il faudra passer par la construction de plusieurs mind maps successives : on partira souvent du premier brainstorming qui pourra être une recherche débridée d’idées qui, une fois toutes inscrites sur la mind map, seront triées. On fera alors une nouvelle carte qui tiendra compte des idées conservées en les réorganisant suivant les liens mis en évidence sur la première carte. Puis, on pourra encore faire une autre carte avec les actions découlant de l’organisation de la carte précédente. D’autres cartes pourraient suivre qui ne traiteraient chacune que d’un détail à approfondir… Il est intéressant de dater chaque carte pour bien suivre l’évolution du projet. À titre personnel, j’utilise la mind map pour construire mes projets professionnels : contenu de formation, de conférence, de livre, mise en place de nouveaux services. Dans ma pratique avec les jeunes adultes, je travaille avec eux leur projet d’orientation à partir d’un questionnement en carte³ sur ce qu’ils aiment faire dans la vie, ce qui les touche, leurs qualités, leurs talents, ce que l’on dit d’eux, ce qu’ils ne voudraient surtout pas… Avec les parents, nous questionnons leur parentalité, à l’aide d’une mind map qui se réorganise au fur et à mesure des séances.

Quels conseils donneriez-vous à une famille qui souhaiterait se lancer dans le mind mapping ?
De s’armer d’une belle boîte de feutres, de prendre de très grandes feuilles sans ligne (le format A3 est formidable pour faire de belles mind maps) et de se lancer avec un sujet simple et anodin. Pourquoi pas « que trouve-t-on dans la salle de bain ? », « organiser mon anniversaire », « les sorties du mois à venir »… Un sujet qui permet de s’exercer sans pression quant au contenu et au résultat. Que les adultes fassent également des mind maps, pas seulement les enfants : pour la liste des courses, l’organisation du prochain repas de famille, la préparation des bagages pour un voyage. On commence par un petit dessin du sujet principal au milieu de la page. Puis, tout autour, on pose un mot en rapport avec le sujet sur chacune des branches épaisses de différentes couleurs que l’on dessine. Et, au bout de chaque branche épaisse, une branche plus fine qui recevra elle aussi un mot lié au précédent. Ressentir comment on se sent durant la réalisation, puis face à la carte… et laisser agir la magie de la carte mentale. C’est mieux de toujours penser à faire un dessin de type pictogramme dès que l’on peut à la place d’un mot. Il faut tout de suite oublier les flèches, les rectangles, les traits droits, les mots au bout de branches, bref tout ce que l’on trouve dans les simili mind maps que l’on pioche un peu partout sur Internet et qui n’ont des cartes mentales que le nom. D’ailleurs, rien ne vaut une mind map faite par ses soins. Une mind map donnée à l’enfant pour étudier une notion n’aura pas beaucoup plus d’efficacité que n’importe quel autre support d’information. C’est celle qu’il construira avec les éléments à sa disposition qui lui permettra la compréhension de la notion. Il existe des logiciels très valables pour faire des cartes mentales. Essayez de choisir ceux qui sont les plus proches de la carte faite à la main : des branches courbes, les mots sur les branches et non dans des rectangles. Mais la carte est plus « cerveau-compatible » lorsqu’elle est faite à la main et, dans ce monde hyper connecté, elle propose de revenir à soi, à un rapport kinesthésique avec sa réflexion mentale, une meilleure connaissance de soi, une créativité graphique accrue. Les cartes informatisées ont de l’intérêt pour une présentation, du classement d’informations, l’écriture d’un livre, etc., quand on maîtrise déjà très bien la technique de la carte mentale. C’est la pratique qui donnera toute sa richesse à cet outil : n’hésitez pas à en faire plein et pour tout. J’ai commencé à mind mapper comme cela il y a plus de quinze ans avec mes fils durant leur enfance non scolarisée.

1 – Tony Buzan est un psychologue britannique dont les travaux portent principalement sur l’apprentissage, la mémoire et le cerveau. Il est le premier à avoir formalisé le concept de la mind map.
2 – Voir les fichiers Graphisme et mandalas d’apprentissage, d’Armelle Géninet (Retz).
3 – Kristin a relaté sur son blog ce processus en œuvre dans le cadre de la rédaction d’une lettre de motivation.

Spécialisée dans l’accompagnement parental et l’aide aux devoirs, Kristin Leroy anime des ateliers autour du mind mapping et du mandala à l’intention des enfants et de leurs parents, des lycéens, des étudiants et des adultes. Elle organise également des formations destinées aux enseignants.
https://lesparentsontdutalent.fr