L’École Dynamique, une école démocratique

Interview parue dans Les Plumes n° 33, juin 2016

L’École Dynamique, dont la pédagogie se fonde sur les principes démocratiques, a ouvert ses portes il y a presque un an, à Paris. De la genèse du projet à sa réalité actuelle, Marie Gervais nous présente cette école hors du commun qui place l’enfant au cœur de ses apprentissages et de son projet de vie.


Comment est née l’École Dynamique ?

L’École Dynamique est née d’une rencontre, celle de l’équipe fondatrice : Ramin qui a initié le projet en septembre 2014, puis, à partir de février 2015, Aurélien (qui travaillait alors aux États-Unis dans une école Montessori), moi (qui créais une école dans mon coin), Benjamin (sophrologue et éducateur), Marjorie (institutrice) et Yohan (photographe) qui nous aidait avant de rejoindre officiellement l’équipe deux mois après l’ouverture de l’école. L’idée est née de la découverte par Ramin de la Sudbury Valley School (SVS, voir descriptif en fin de page), et de sa participation, en août 2014, à la conférence EUDEC (communauté européenne pour l’éducation démocratique, voir encadré page 5). Quand nous nous sommes rencontrés, aucun d’entre nous ne connaissait la SVS et sa philosophie ! Nous avons beaucoup lu, échangé et travaillé sans compter les heures, et c’est grâce à la synergie créée entre nous que nous avons pu ouvrir après quelques mois, en septembre 2015. Pour être sûrs que l’école soit viable (le modèle était alors quasi inconnu en France), nous avons décidé d’être tous bénévoles jusqu’à début 2016. Nous avons pu commencer à salarier deux membres à partir d’avril 2016.

L’équipe éducative de l’École Dynamique n’est pas composée d’enseignants. Quel est donc son rôle dans l’instruction des enfants ?
C’est un rôle assez difficile à comprendre de premier abord tant il est innovant dans notre société qui ne connaît que le modèle vertical de transmission des savoirs… Daniel Greenberg¹, co-fondateur de la SVS, le définit comme « l’art de ne rien faire » ! Évidemment, on est bien loin de ne « rien faire » au quotidien… Ce qu’il voulait dire, c’est que nous faisons attention à ne pas être dans l’ingérence vis-à-vis des activités et du développement des membres de l’école et, comme il le dit bien, cela prend des années pour se déconditionner de ce positionnement adulte / enfant. C’est la lecture de l’article d’une maman dont les filles sont à la SVS qui m’a aidée, dans les premiers mois, à comprendre en profondeur. Elle compare son métier de sage-femme au rôle du personnel de l’école. Je l’ai commenté et traduit sur le blog de l’École Dynamique. Notre positionnement est clair mais demande un travail sur soi permanent : nous sommes des « modèles » dans le sens où nous sommes des adultes bienveillants et responsables avec des talents, des intérêts, des hobbies et des personnalités uniques. Nous sommes disponibles quand l’enfant nous demande de l’aide et non pas quand nous jugeons qu’il a besoin de nous, et cela fait toute la différence avec la posture habituelle de l’adulte ! Nous sommes fondamentalement persuadés que les enfants n’ont pas besoin d’enseignants, qu’ils sont tout à fait capables d’apprendre par eux-mêmes, dans un environnement ouvert et bienveillant. Ce dont ils ont besoin par contre, quand ils désirent approfondir un sujet, c’est d’être mis en relation avec des experts, des gens qui possèdent le savoir-faire et les compétences ad hoc : les compétences de chacun dans l’équipe sont importantes, mais ce n’est pas sur ce critère unique que se définit le choix d’un membre d’équipe. Marjorie considère même que le fait d’avoir été professeur des écoles est un frein au départ ! L’école est avant tout un lieu de vie, où se créé une communauté variée, dans ce que le terme a de plus riche : c’est passionnant et éreintant, car cela nous demande un recul quasi permanent (dans les premiers mois en tout cas !) sur notre façon d’être. C’est d’ailleurs tellement intense que toute personne qui n’est pas à sa place dans une telle équipe n’a pas d’autre choix que de partir d’elle-même…

Existe-t-il une journée type à l’École Dynamique ? Pouvez-vous nous donner une idée générale du déroulement d’une journée d’école ?
C’est une question habituelle, ce qui est normal, car il est difficile d’imaginer le quotidien d’une école sans cours et sans emploi du temps ! En fait, nous sommes extrêmement proches du unschooling, sauf que nous le pratiquons non en famille mais en communauté multiâge, avec des jeunes de 3 à 19 ans et les membres adultes de l’équipe. Les horaires d’arrivée sont souples : entre 9 h 30 et 10 h 45. Cela permet à chacun d’arriver tranquillement, à son rythme. Les matinées sont toujours très calmes, c’est un bon moment pour discuter tranquillement avec tous les membres. L’école ferme ses portes à 17 h 30. Entre les deux, chacun est libre d’utiliser son temps comme il le souhaite, c’est ce qui fait qu’il n’y a vraiment pas de journée type… L’équipe a beaucoup de travail et de réunions, entre le travail administratif, les entretiens avec les parents, les relations publiques, mais ce sont toujours des temps ouverts à tous les membres, puisque l’intégralité du fonctionnement de l’école se gère en collectivité (même le budget, l’embauche de l’équipe, l’aménagement, les échanges avec les journalistes, etc.). Les seuls temps réguliers de l’école, mais sans obligation de présence, sont le Conseil d’École, tous les jeudis après-midi de 13 h 30 à 15 h 30, et le Conseil de Justice, qui a lieu quotidiennement de 11 h 00 à 12 h 30. Les deux seuls devoirs des membres de l’école sont la tâche de ménage personnelle (par roulement) et la présence au Conseil de Justice si on y est appelé, que ce soit en tant que juré (roulement sur l’année) ou en tant qu’auteur ou objet d’une plainte. Chacun est libre de créer des clubs et de proposer des ateliers, des sorties, des activités selon ses intérêts. Il existe aujourd’hui à l’école une dizaine de clubs : photographie, informatique, philosophie, comédie, italien, discussion sur l’actualité, etc., et même club orthographe et club maths ! Chaque club gère son fonctionnement et son budget et rend des comptes régulièrement au Conseil d’École. Tout le reste se vit dans la liberté et le respect de chacun : discussions, cuisine, jeux de société, sorties au parc, etc.

En France, les savoirs sont hiérarchisés et la loi impose aux enfants d’apprendre un certain nombre de choses listées dans le socle commun. Comment votre école, débarrassée d’un programme et des contraintes scolaires, peut-elle garantir que ses élèves auront la maîtrise de ces connaissances à l’âge de 16 ans ?
[…] nous avons pensé et créé un outil spécifique : le Journal de bord (outil qui n’existe évidemment pas dans les écoles Sudbury où la loi du pays n’oblige à aucun suivi particulier des élèves). Personnalisé pour chaque membre de l’école, il suit leurs apprentissages via leurs nombreuses occupations et découvertes quotidiennes. C’est un outil en ligne qui est accessible aux membres de l’équipe et à chacun (seul le journal personnel est accessible à l’enfant, qui peut le remplir lui-même s’il le souhaite). Dans une seconde étape, le « magicien » de l’équipe traduit les apprentissages dans le vocabulaire spécifique de l’Éducation nationale. C’est Marjorie, qui a été professeur des écoles pendant plusieurs années, qui se charge de cette tâche fastidieuse. Nous sommes, depuis le début, totalement transparents avec les membres de l’école à ce sujet : ce journal de bord n’est aucunement là pour surveiller leurs apprentissages et veiller à ce qu’ils suivent une voie plus qu’une autre, il n’existe que parce que la loi nous oblige à un objectif (le socle commun acquis à 16 ans)². Nous en avons beaucoup et ouvertement discuté avec les enfants et adolescents et tout le monde a compris l’importance de ce compromis. Le socle commun est d’ailleurs affiché sur un mur de l’école, bien en vue ! Dans les faits, nous savons tous que les compétences du socle concernant le « vivre-ensemble », la responsabilité et l’autonomie sont particulièrement mis en avant dans une école comme la nôtre. Concernant les compétences académiques, notre société à l’ère du numérique et les réseaux de savoir-faire que nous mettons en place à l’école font le reste.

Comment le fait de laisser un enfant libre de choisir ses apprentissages et d’organiser ses journées peut-il le préparer valablement à une vie adulte professionnelle et responsable ?
C’est justement cette liberté de définir soi-même ses activités et d’être le seul maître de son temps qui prépare les enfants à devenir des adultes responsables et autonomes. Ils le deviennent même bien avant l’âge légal définissant la responsabilité de soi dans notre société ! Comment apprendre à être responsable quand on n’a connu toute son enfance que des situations où l’adulte nous impose de l’extérieur nos activités, notre emploi du temps, et même ce qu’il pense que nous aimons ? Combien d’enfants amenés dans des voies – et des vies – qu’ils n’ont jamais demandées, jamais désirée ? Depuis 50 ans que la première école Sudbury a été créée, il y a eu beaucoup d’études sur ce que sont devenus les anciens élèves³ : une des premières choses mises en avant est leur capacité à prendre leur vie en main, à s’adapter, ainsi que leur capacité de persévérance. Ce sont pourtant étrangement ces mêmes qualités qui sont toujours mises en avant comme faisant défaut par les adversaires des apprentissages autonomes (qu’il s’agisse d’instruction en famille ou de notre modèle scolaire) : « Comment les enfants apprendront-ils la persévérance si aucun adulte ne les oblige à quoi que ce soit ? », « Comment pourront-ils s’adapter à la vie professionnelle s’ils n’ont fait que ce qu’ils veulent ? », etc. De nombreuses études sur ces enfants devenus jeunes adultes montrent qu’en développant leurs propres intérêts, ils savent au contraire où et comment aller jusqu’au bout de leurs désirs, avec une farouche capacité d’adaptation et de défense de leurs intérêts ! Quand ce qui nous motive a du sens, on est prêt à tout ! Les processus démocratiques à l’œuvre dans le quotidien de l’école amènent également des apprentissages primordiaux pour devenir un adulte responsable, empathique, ouvert et tolérant. Un être qui aura grandi au plus près de ses talents et de sa créativité sera un être accompli, capable de faire évoluer les choses dans notre société (même si ce n’est pas un but en soi).

Quel est votre bilan à l’issue de cette première année scolaire ?
Ce qui me vient à l’esprit immédiatement ne concerne pas directement la vie interne de notre école mais son aura : depuis son ouverture en septembre 2015, on compte désormais une trentaine de projets d’école démocratique (de type Sudbury ou non) aux quatre coins de la France. Certaines personnes, déjà porteuses d’un projet d’école, ont changé de cap en découvrant la philosophie, tandis que d’autres ont vécu cela comme un réveil et ont décidé de se lancer dans l’aventure, réalisant qu’elles aussi étaient capables de monter un tel projet, car notre exemple les avait inspirées. Nous avons travaillé dur, sans compter les heures, pour créer et construire l’école tout autant que pour faire connaître le modèle démocratique. C’est très important car notre ambition n’a jamais été de créer notre petit projet dans notre coin, mais au contraire d’ouvrir le paysage éducatif français, pour que les parents aient enfin le choix lorsqu’il s’agit de l’instruction de leur enfant. Cela ne pourra se faire qu’en faisant connaître le modèle et qu’en aidant d’autres projets de ce type, ainsi qu’en créant des liens avec les autres modèles alternatifs : l’idée n’est plus de se battre pour sa paroisse mais de s’allier pour entamer des discussions et faire évoluer les choses. Plus on est nombreux, plus on a de poids ! La création de l’École Dynamique, puis, au niveau supérieur, la création de la branche française de l’EUDEC ont participé à l’amplification du mouvement qu’on voit poindre depuis quelques années : les gens ont soif de changement car ils ressentent une déconnection de plus en plus profonde entre leurs aspirations et la vie qu’ils mènent, la liberté qu’ils souhaiteraient avoir. Ils pensent à leurs enfants. Notre philosophie ne laisse personne indifférent : elle remue beaucoup et travaille les gens en profondeur. Et, une fois qu’on commence à se questionner sur ces sujets, on ne peut plus les laisser derrière en fermant les yeux et l’esprit !

1 – Avant de co-fonder la Sudbury Valley School, Daniel Greenberg était professeur de sciences physiques à l’université de Columbia (New York City), l’une des plus prestigieuses universités américaines. Il est l’auteur d’une vingtaine d’ouvrages, dont 12 décrivant le modèle éducatif de la SVS.
2 – L’article D131-12 (code de l’éducation) impose une obligation de moyens, non une obligation de résultat : « La progression retenue pour l’acquisition de ces connaissances et compétences doit être compatible avec l’âge de l’enfant et son état de santé, tout en tenant compte des aménagements justifiés par les choix éducatifs effectués. Elle doit avoir pour objet d’amener l’enfant, à l’issue de la période de l’instruction obligatoire, à la maîtrise de l’ensemble des exigences du socle commun. »
♦mise à jour novembre 2016♦ ⇒ Cet article de loi a été modifié depuis la parution de cette interview : « L’acquisition des connaissances et compétences est progressive et continue dans chaque domaine de formation du socle commun de connaissances, de compétences et de culture et doit avoir pour objet d’amener l’enfant, à l’issue de la période de l’instruction obligatoire, à la maîtrise de l’ensemble des exigences du socle commun. La progression retenue doit être compatible avec l’âge de l’enfant et son état de santé, tout en tenant compte des choix éducatifs effectués et de l’organisation pédagogique propre à chaque établissement. »
3 – À noter notamment l’ouvrage The Pursuit of Happiness – The lives of Sudbury Valley alumni, de Daniel Greenberg (SVS Press, 2005), qui passe en revue le devenir de plus d’une centaine d’élèves de la Sudbury Valley School, en analysant plus particulièrement leurs professions, leurs relations sociales et leurs valeurs.

 

EUDEC
La European Democratic Education Community (EUDEC) est le réseau des écoles démocratiques européennes. Cette association à but non lucratif promeut l’éducation démocratique comme étant un modèle éducatif pertinent pour tous les états démocratiques. Ses adhérents sont des personnes, des écoles, des institutions présentes en Europe et ayant plusieurs décennies d’expérience dans le domaine de l’éducation démocratique. L’une des particularités de cette association est que les élèves y jouent un rôle actif, au même niveau que les adultes et éducateurs. Actuellement, cette association réunit 60 000 personnes de 29 pays, dont 4 écoles et une vingtaine en cours de création.
EUDEC Europe
EUDEC France

Définition de l’éducation démocratique
« Les jeunes devraient pouvoir choisir ce qu’ils font, quand, où, comment et avec qui, du moment que leurs décisions ne transgressent pas la liberté des autres de faire de même. Ils devraient aussi jouir d’une part égale du pouvoir de décision sur le fonctionnement de leur organisation, notamment sur le règlement intérieur et son application, participant ainsi à y instaurer un cadre de liberté, confiance, sécurité et respect. » (EUDEC)

Sudbury Valley School
Fondée en 1968 dans le Massachusetts, États-Unis, la Sudbury Valley School accueille des étudiants de la maternelle au lycée. Elle leur permet d’user de leur temps à leur guise et leur donne la responsabilité de choisir leur voie tout au long de leur enfance jusqu’à l’âge adulte. Elle permet la délivrance du high school diploma (équivalent du baccalauréat). Beaucoup de ses étudiants, qu’ils aient ou non postulé pour ce diplôme, ont ensuite poursuivi leurs études à l’université ou bien sont entrés dans la vie active dans des domaines divers (commerce, affaires, art, techniques). Il existe actuellement une cinquantaine d’écoles fondées sur le modèle SVS dans le monde.

 

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