L’e-magazine collaborativEducation

Interview parue dans Les Plumes n° 38, septembre 2017

Magazine éducatif d’un nouveau genre, collaborativEducation est paru pour la première fois en juin dernier. Nous sommes allées à la rencontre de Bernadette et Shady Nozarian, les fondatrices du magazine.

 

À vous deux, vous avez expérimenté des modes d’instruction divers et variés. Pouvez-vous nous en dire plus ?
Shady Nozarian : J’ai commencé par l’école à la maison, jusqu’en cinquième où j’ai décidé d’aller au collège car ma sœur commençait le lycée et j’avais également envie de découvrir autre chose. Même si l’école m’a plu d’emblée, je n’ai jamais fait une année complète au collège car il y avait toujours des professeurs que je ne supportais pas et des moments où ma petite vie de non sco me manquait, notamment pour voyager. Cela ne m’a jamais empêchée d’avoir des bonnes notes, donc mon collège acceptait de me laisser tranquille. Ensuite, j’ai décidé qu’il me fallait quelque chose de moins strict que l’Éducation nationale classique mais tout en continuant à aller à l’école. J’ai donc découvert le Lycée Autogéré de Paris (LAP), où ma sœur était allée avant moi, et j’y ai passé mes trois années de lycée. C’était absolument génial ! Là, j’ai fait mes trois années complètes, contrairement au collège, et j’ai adoré ! À la fin de la terminale, j’ai choisi de ne pas passer le baccalauréat. Je me suis alors inscrite en capacité en droit pour vite me rendre compte que ce n’était pas pour moi. J’ai donc passé le reste de l’année à chercher ce qui me plairait vraiment et j’ai fini par trouver : en septembre, je continue mon BTS communication au Cesacom, je commence ma deuxième année et je crois avoir enfin trouvé un domaine et une école qui me plaisent !
Bernadette Nozarian : D’abord, avec mes filles, nous avons vécu la formidable aventure de la non-scolarisation pendant des années. Et parmi les différents métiers que j’ai exercés, avant leur naissance, puis en parallèle de la non-scolarisation et après, figurent professeur et formatrice. J’ai enseigné dans le public, le privé, le classique, l’alternatif, à tous les niveaux, du primaire au supérieur, et à tous les âges, des enfants aux adultes, des analphabètes aux non-francophones ; bref, je crois avoir fait le tour de la question.

Vous avez créé collaborativEducation après de nombreuses années de réflexion. Qu’est-ce qui vous a motivées à créer ce magazine ?
S. N. : Un jour où j’étais au téléphone avec ma mère, elle a commencé à m’en parler, à m’expliquer qu’elle y pensait depuis un moment. J’ai trouvé que c’était une excellente idée, je lui ai dit que je pouvais m’occuper de la mise en page et hop, c’était parti !
B. N. : C’était un projet que je « couvais comme un œuf » depuis des années, mais qui n’aboutissait pas. Le déclic est venu d’un diagnostic médical erroné d’un médecin que j’avais consulté en situation d’épuisement complet, et qui, tout de go, m’a dit qu’à son avis, j’allais faire soit un infarctus soit un AVC ! Du coup, mon anniversaire arrivant quelques semaines plus tard, je me suis dit que pendant cette nouvelle année de vie, j’allais réaliser tous les projets qui me tenaient à cœur et qui restaient en suspens. […] Travailler toutes les deux ensemble, c’est un peu un retour au rythme de la non-sco. Comme reprendre un fil suspendu. Quoique, pendant les années de scolarisation de Shady, nous avons continué à collaborer, lorsque cela était nécessaire. Nous nous connaissons bien, nous savons chacune comment fonctionne l’autre. Pour moi, qui l’ai vue grandir, je découvre une professionnelle, qui en plus, est ma fille ! Nous sommes à égalité de conseils l’une envers l’autre, chacune selon ses compétences. Si je lui suggère quelque chose qu’elle trouve absolument inenvisageable, elle me le dit sans ambages. De même, elle propose ses idées d’experte en communication. […] Un autre point est que j’ai enfin pris conscience que j’avais un certain talent pour mettre le travail des autres en valeur et pour connecter ensemble les bonnes personnes. Comme j’aime écrire depuis toujours, et que je couvais ce projet depuis des années, eh bien, voilà, le moment est venu. Le moment n’est pas venu simplement pour moi, mais pour la société dans son ensemble. J’ai réalisé cela il y a quelques mois. J’étais déjà en contact avec des équipes qui montent des écoles différentes, mais c’est en réactualisant la partie « adresses » du guide des écoles différentes rédigé par Marie-Laure Viaud¹ que j’ai pris réellement conscience de l’ampleur du phénomène. Il ne s’agit pas de quelques poignées d’hurluberlus qui veulent créer une autre école. Il s’agit d’un mouvement de fond, tant dans la non-sco que dans le privé hors contrat. Ces écoles affichent des listes d’inscriptions closes, et même des listes d’attente, avant même de commencer à fonctionner. Concernant la non-sco, l’augmentation continue du nombre de familles, qui donne des sueurs froides au ministère, relève d’une logique assez similaire, me semble-t-il : envie de vivre autre chose, d’apprendre autrement. Ensuite, chacun fixe ses choix selon ses convictions et les possibilités qu’il se donne.

CollaborativEducation s’intéresse aussi bien à l’enseignement en milieu scolaire qu’aux apprentissages hors cadre scolaire. Comment réussissez-vous à concilier ces deux modes éducatifs traditionnellement opposés ?
B. N. : En fait, il semble qu’un nombre non négligeable d’enseignants du milieu scolaire ait envie d’autre chose. Cela se confirme au vu du nombre important de professeurs qui sont allés voir Être et devenir, le film documentaire de Clara Bellar, et de la composition des équipes qui montent des écoles différentes : beaucoup de professeurs. Pour le moment, ils sont obligés de sortir du système pour réaliser ce qui correspond à leurs valeurs. Peut-être que, petit à petit, ils arriveront à modifier le système de l’intérieur. Et collaborativEducation pourrait rendre compte de leur pratique, en étant autorisé à passer du temps dans des classes et des établissements publics.

Tous les deux mois, votre revue offre 90 pages de « passion éducative ». Qui sont les rédacteurs et les invités de votre revue ?
B. N. : Je rédige tous les textes. Les invités sont des personnes qui ont un discours sur l’éducation tiré de leur pratique de terrain, que ce soit en instruction hors école, en établissement scolaire ou de leur quotidien de parents. Ce qu’elles disent sonne juste car elles croient en ce qu’elles font, elles sont en phase avec leurs valeurs. Je parle de « passion éducative » car je suis vraiment impressionnée par l’investissement personnel dont font preuve les personnes qui montent des écoles différentes, qui se lancent dans un invraisemblable parcours semé d’embuches, mais qui y croient et continuent. C’est assez analogue à la situation des familles non scolarisantes qui, malgré les problèmes liés au contrôle de l’instruction, à l’enquête de la mairie, aux dénonciations anonymes de voisins « bien intentionnés », à la pression de l’entourage, etc., continuent à vivre cette vie choisie. C’est cette force du choix assumé qui me plaît et que j’essaie de rendre. Tous les échanges que j’ai avec ces personnes sont d’une incroyable richesse.

Quelles sont les différentes rubriques du magazine ?
B. N. : Le magazine est écrit et illustré, c’est important qu’il soit intéressant et beau. Nous avons beaucoup travaillé avec Shady sur le choix des polices, la présentation, elle a fait un gros travail réussi pour la mise en page.
• L’édito, inspiré par l’air du temps ou un événement quelconque.
• Le sommaire.
• Entretien avec… dans lequel la personne interviewée exprime spontanément ses réflexions sur le mot « éducation ». Dans le numéro 1, c’est un enfant de 12 ans qui s’est exprimé. Et, au vu de travaux de perspective, il est tout à fait dans l’air du temps !
• Apprendre avec… qui présente une ressource créée par une personne, parent non scolarisant ou autre, son cheminement personnel et l’utilisation de cette ressource.
• Projets à soutenir : deux projets qui ont besoin d’aide, que ce soit pour le local d’une école différente, ou pour du matériel, des compétences, etc.
• Non sco : une rubrique sur la non-scolarisation, qui soit présente une association ou un collectif, soit développe un aspect de la non-scolarisation à travers la description du quotidien d’une famille.
• Écoles à découvrir : la description minutieuse, sur une dizaine de pages, d’une journée dans deux écoles différentes où je vais passer du temps.
• À lire, à écouter, à voir est consacrée à des comptes-rendus de lecture, à une émission de radio ou un discours, et à un film.
• Actualité qui rend compte d’événements à venir en lien avec l’éducation ainsi que de textes de loi ou de décisions de justice.
Dans chaque rubrique, j’ouvre vers d’autres pistes de réflexion par des références, des encadrés. En fait, chaque entretien, chaque échange avec une personne est la base d’une réflexion plus large. J’ai aussi à cœur de ne pas limiter le contenu de collaborativEducation à un horizon franco-français, j’ai donc sélectionné diverses ressources étrangères.

Quelle est votre ambition avec collaborativEducation ? À quel public s’adresse le magazine ?
B. N. : L’ambition est que collaborativEducation rende compte de ce qui bouge dans l’éducation au sens large, aussi bien dans la non-scolarisation, que dans le privé et le public. Tout est dans le nom de la revue : collaborativEducation, collaborer et non opposer, et le E évoque l’aspect numérique. Il y a cette ambition qu’elle devienne une référence dans ce monde de « l’éducation qui bouge », une plateforme de rencontre entre tous les acteurs : familles non scolarisantes et scolarisantes, enseignants, porteurs de projets, créateurs, équipes ayant créé des écoles différentes, personnes souhaitant s’impliquer dans un projet ou en monter un. Il existe des publications pour chaque « chapelle éducative », j’ai envie que collaborativEducation soit celle qui rassemble les personnes désireuses de bousculer l’inertie, des personnes qui sont « force de proposition » comme on dit dans le monde de l’entreprise, pour faire bouger et évoluer l’éducation : son rôle, son fonctionnement, son but. Si un jour, collaborativEducation est au programme des ESPE² comme l’est un reportage sur l’une des écoles présentées dans le numéro 1, alors ce sera une très belle reconnaissance de son rôle de porte-parole de ceux qui ont des choses à dire et sont sur le terrain pour changer l’ordre des choses. Le jour où je serai assaillie de demandes de visites d’écoles, aussi bien publiques que privées, d’interviews de familles non scolarisantes, de présentations de créations et de projets à sou-tenir, et que les ventes exploseront, c’est que collaborativEducation aura trouvé son public.
S. N. : D’après moi, collaborativEducation s’adresse à tous les publics : tant aux parents qui ont des interrogations qu’aux enfants qui recherchent d’autres modes d’apprentissage, en passant par les professeurs, trop peu informés, selon moi, qu’autre chose est possible. Je pense que la vocation du magazine est de permettre à un public varié de s’informer et de découvrir de nouvelles façons de faire.
B. N. : Il s’adresse autant aux familles non scolarisantes qu’aux enseignants ayant envie de voir autre chose, aux (futurs) parents s’interrogeant sur la scolarité de leur enfant, à des personnes qui auraient envie de monter une école différente, et pourraient rejoindre une équipe déjà porteuse d’un tel projet. En fait, il s’adresse à toutes les personnes pour qui il devient, ou est déjà, évident que vivre et apprendre sont liés et qu’il n’y a pas lieu d’établir des cloisonnements et des séparations entre ces deux fonctions.

1Montessori, Freinet, Steiner : une école différente pour mon enfant ?, de Marie-Laure Viaud (Nathan), mise à jour du guide à paraître en septembre 2017.
2 – Établissement Supérieur du Professorat et de l’Éducation, organisme où sont formés les professeurs.

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